Dossier : « entre dystopies et utopies, quelle humanité pour quel futur ? »
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De quoi parlons-nous ?
« Utopie » est employé pour la première fois par Thomas More en 1516. Mot latin appuyé sur des racines grecques = Topos « le lieu » précédé par le préfixe négatif ou/u – = « le lieu qui n’existe pas ».
Le mot a vite servi à définir un genre littéraire important depuis l’antiquité, dont l’exemple marquant est La République de Platon. Il s’agit de récits de voyage décrivant un lieu, une cité, une organisation politique et sociale idéale, présentée comme contemporaine du voyageur. Cette littérature a été le principal véhicule des idées réformatrices positives : il s’agit d’élargir le champ des possibles.
L’utopie est le produit d’un travail intellectuel, celui des théoriciens qui cherchent à établir un modèle à comparer à nos sociétés. Ecrivains, poètes, auteurs de science-fiction ont inventé de saisissantes utopies.
L’homme est fait pour rêver, c’est-à-dire pour combattre et non subir. Et surtout, l’homme est fait pour la poésie. Or, l’utopie est poétique. Et la poésie aura toujours raison contre le réalisme.
Jean-Christophe Grangé, Miserere (2008)
« Dystopie » est un mot prononcé pour la première fois par l’anglais John Stuart Mill lors d’un discours au Parlement britannique (même utilisation d’une racine grecque, topos = « le lieu », mais avec le préfixe dys– péjoratif, désignant quelque chose de mal formé, de mauvais, de dangereux).
Nouveau genre littéraire abondant, fondé sur des récits proches de la science-fiction et dont l’action nous situe dans un avenir plus ou moins proche, la dystopie présente une société imaginaire sombre, bâtie sur une organisation sociale et politique oppressante où la surveillance de tous, des mots dits et des comportements, est la règle ; ou bien une utopie qui vire au cauchemar pour les particuliers. La dystopie décrit un monde en perdition, entre menaces sur l’environnement, désastres économiques, crises sanitaires…
Dystopies et utopies sont autant de récits à confronter à notre réalité. Peut-il en sortir un réveil qui nous permettrait de corriger quelques-unes de nos orientations ?
Quand utopie et dystopie se confondent. A propos de Histoire de quatre ans. 1997-2001, de Daniel Halévy.
Dans cette étrange fiction (la seule qu’il ait produite) en forme de chronique, publiée en 1903, l’historien Halévy imagine une situation en principe idyllique : l’humanité se trouve, de façon inédite, brusquement délivrée de tout souci matériel, grâce à la mise au point par un savant allemand d’un aliment de synthèse dont la production industrielle à des coûts dérisoires fait disparaître l’éternel problème de la faim. Aussitôt, apparaissent les plus réjouissantes perspectives d’émancipation du genre humain par l’explosion des talents intellectuels et des dons créatifs jusque-là comprimés rendant possible la floraison miraculeuse d’un peuple d’artistes. Or c’est l’inverse qui se produit : l’humanité ainsi confrontée à elle-même, loin de rien trouver à faire pour se rendre heureuse, plonge dans l’ennui et la dépression, ce qui donne naissance à une civilisation de la volupté immédiate, où l’effort vital cède la place au relâchement dans une jouissance mortifère. L’inévitable conséquence en est le développement d’une mystérieuse épidémie de folie qui convainc les rares savants épargnés par le mal en raison de leur austérité à prendre des mesures draconiennes pour imposer une nouvelle organisation sociale fondée sur une rigoureuse hiérarchie fortement inspirée par les idées de Nietzsche.
L’intérêt de ce livre (méconnu aujourd’hui, mais salué en son temps par Anatole France, Sorel et Péguy) est qu’il se situe à la lisière entre utopie et dystopie, de telle façon qu’il est presque impossible de décider si en lui c’est l’une ou l’autre qui domine et engendre ou détruit l’autre. En même temps, il présente les faits d’une manière si simple et dépouillée qu’on croit lire une véritable chronique, dont il est difficile de ne pas croire qu’elle s’inspire de faits réels. Ce sont ces deux aspects que nous développeront, en mettant en rapport le texte de Halévy avec des textes plus récents, comme L’Aveuglement de José Saramago, qui mettent en scène une situation comparable.
- une conférence d’Édouard SCHAELCHLI (agrégé de lettres classiques et titulaire d’un doctorat de littérature moderne de l’université de Bordeaux), à suivre le matin du vendredi 30 septembre 2022. Pour plus de précision : Programme du colloque 30 septembre et 1er octobre 2022
La ville idéale à l’épreuve de l’anthropocène. Architecture, énergie et utopie.
L’histoire de la pensée architecturale est ponctuée d’une série de projets de villes idéales, de Sforzinda du Filarète (Italie, 15ème siècle) à Broadacre City de Wright (Etats-Unis, milieu du 20ème), en passant par la Cité idéale de Chaux de Ledoux (France, fin du 18ème) ou la Cité industrielle de Tony Garnier (France, début du 20ème). Dans chaque cas, le concepteur cherchait à fusionner l’organisation de l’environnement physique avec l’organisation du corps social qui l’habite : une utopie à la fois politique et formelle, la cité idéale dans son urbs sur mesure.
L’attention récemment portée au lien entre l’évolution de nos sources d’énergie et le développement des idées politiques dans l’occident capitaliste jette une nouvelle lumière sur cette histoire. Le passage aux énergies fossiles semble s’être traduit par une ville de plus en plus distendue, de plus en plus branchée sur des réseaux lointains, habitée par un citoyen de plus en plus autonome. L’utopie n’était plus une île, comme elle le fut dans l’esprit d’un Thomas More. Pourtant, dans cette période où les émissions carbones préparaient déjà les manifestations de ce que nous appellerons l’anthropocène, les concepteurs persistaient à donner une forme maîtrisée à leurs utopies urbaines.
Aujourd’hui, et même depuis les crises énergétiques des années 1970, les propositions de villes idéales « toutes faites » revêtent un air désuet, voire ridicule. L’idéal politique dans un monde qui cherche à gérer des crises climatiques et écologiques semble réfractaire à sa cristallisation dans un grand projet formel. La perspective dystopique aurait-elle pris le dessus sur la prospective d’un monde meilleur ? Ou est-ce que les visions totalisantes des architectes sont décrédibilisées en définitive par association avec le régime énergétique qui nous a entrainés dans la spirale du réchauffement climatique et de l’effondrement des espèces ? Peut-être s’agit-il simplement du sentiment que l’enjeu n’est plus quelle ville construire pour la polis idéale, mais comment faire au mieux avec l’existant. Il s’agira dans cette conférence de poser des repères dans cette histoire au long cours et de spéculer sur quelques-unes de ses suites.
- une conférence de Kent FITZSIMONS (diplômé en architecture, Docteur en architecture. Maître de conférences, École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux. Membre, laboratoire de recherche PAVE), à suivre le matin du samedi 1er octobre. Pour plus de précisions : Programme du colloque 30 septembre et 1er octobre 2022
On recherche citoyens optimistes pour temps inattendus !
Le monde a toujours traversé des épreuves. L’être humain a toujours évolué sous la pression de l’adversité. L’Histoire humaine est celle d’une adaptation créative permanente, oscillant entre projection, innovation, résistance, rebond, reconfiguration et réinvention.
Face à cette réalité, l’optimisme a toujours été au rendez-vous des grands moments de l’Histoire, que l’on parle ici de chacun de nous ou de l’Humanité tout entière.
Etre optimisme, ce n’est ni être dans le déni, dans la naïveté ou l’indifférence. C’est simplement accepter de mettre le réel – bon ou mauvais – sous tension positive, sous tension d’optimisation. Que faire de mieux avec la réalité, quelle qu’elle soit ? Telle est la seule question qui compte.
Regarder le monde en optimiste, c’est chercher en priorité à percevoir ce qui va bien ; c’est anticiper la possibilité du meilleur, surtout dans les temps difficiles ; et c’est enfin croire dans le pouvoir de la volonté et de l’audace sur les événements.
Car il est urgent, à l’heure de nouvelles frilosités et des nouveaux conformismes, de redonner à l’audace la place qu’elle mérite dans nos vies. Bien sûr, toute approche audacieuse n’est pas toujours bienvenue. Etre audacieux, ce n’est pas obligatoirement être téméraire, voire provocateur. C’est tout simplement oser braver ses propres zones de confort, surtout lorsque celles-ci nous empêchent d’évoluer et de nous transformer, et en particulier quand notre environnement se révèle contraignant.
« Rien d’audacieux n’existe sans la désobéissance à des règles », écrivait Jean Cocteau ; et il pensait en particulier à certaines règles intérieures dont le respect aveugle nous empêche de déployer toute l’énergie dont nous sommes capables.
Dans le monde de plus en plus normé qui est le nôtre, que ce soit au travail ou dans notre vie sociale et familiale, l’heure est venue de tenter de rebondir afin de nourrir notre audace de vivre et nous préparer aux inattendus de « l’après ». Nous proposons pour cela 5 principes issus des enseignements de la psychologie positive :
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- Accepter d’oublier nos faiblesses pour se concentrer sur nos points forts ;
- Parier sur les possibles cachés (et donc à découvrir), surtout quand tout apparaît impossible ;
- Revendiquer en toutes circonstances la puissance de l’imperfection créative ;
- Rester individuellement et collectivement disponibles à l’imprévu et à ses opportunités potentielles ;
- Donner aux autres le droit à l’audace en les aidant à défier leurs propres zones de confort.
L’optimisme et l’audace sont des énergies renouvelables, et qui augmentent dès lors qu’on décide de les partager, en particulier quand s’annoncent de grands changements…
« Il est temps que l’on sache.
Il est temps que la pierre se résolve enfin à fleurir,
que batte un cœur au désarroi et à l’inquiétude.
Il est temps que le temps advienne.
Il est temps »
(Paul Celan, Corona, 1948)
- une conférence de Philippe GABILLIET, professeur à ESCP Business School (Paris), à suivre l’après-midi du samedi 1er octobre 2022. Pour plus de précisions : Programme du colloque 30 septembre et 1er octobre 2022
Téléchargez en PDF le dossier de synthèse de Philippe Gabilliet sur l’optimisme : ACCHLA_optimisme_Booklet
Orientation bibliographique :
à lire dans The Conversation (L’expertise universitaire, l’exigence journalistique) :
- « Les mots de la science » : A comme anthropocène (publié : 20 septembre 2020, 19:07 CEST) par Eric Macé, professeur de sociologie, directeur du département de recherche CHANGES, Université de Bordeaux Université de Bordeaux, Université de Bordeaux
Florence LOUIS philosophe, association Philosphères
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- Mémoire vivante, éd. du Détour, 2020
- Nouvelle anthologie du Grand Inquisiteur, en co-écriture avec Édouard SCHAELCHLI éd. R&N, 2022
Édouard SCHAELCHLI : agrégé de lettres classiques et titulaire d’un doctorat de littérature moderne de l’université de Bordeaux
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- Jean Giono. Pour une révolution à hauteur d’hommes, présentation et choix de textes, éd. Le Passager clandestin, coll. « Les Précurseurs de la décroissance »
- Ellul l’Intraitable, Lemieux éditeur, 2017
- Traduction (de l’allemand) et préface des Lettres du Lac de Côme, de Romano Guardini, aux éditions R&N, 2020
- Contre-urgence, aux éditions Ovadia, 2020
- Nouvelle anthologie du Grand Inquisiteur, en co-écriture avec Florence Louis, aux éditions R&N, 2022
- Scandale et mystère, aux éditions Saint-Léger, 2022
Natacha VAS-DEYRES : agrégée de Lettres modernes, docteur en littérature française, francophone et comparée, professeure en CPGE à Bordeaux et chercheuse associée au Laboratoire pluridisciplinaire de recherches sur l’imaginaire appliquées à la littérature (Lapril/PLURIELLES) de l’Université Bordeaux Montaigne
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- Science-fiction ! Voyage dans la modernité, éditions des Moutons électriques, 2022
- Le Bazar imaginaire de Jacques Spitz, Presses universitaires de Rennes, 2022
- Utopies, Anthologie des Hypermondes #2, éditions des Moutons électriques, 2022
- Ces Français qui ont écrit demain. Utopie, anticipation et science-fiction au XXe siècle, Honoré Champion, 2013, Grand prix de l’imaginaire, catégorie essai, 2013.
Gilles BŒUF (conseiller régional, professeur de biologie à Sorbonne Université et ancien président du Museum national d’Histoire naturelle)
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- leçon inaugurale au Collège de France. Chez Fayard
Éric MACÉ (professeur de sociologie, chercheur au Centre Emile-Durkheim et vice-président de l’Université de Bordeaux en charge des transitions environnementales et sociétales)
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- Après la société. Manuel de sociologie augmentée. 2020, Lormont, Le bord de l’eau.
Philippe GABILLIET (professeur à ESCP Business School de Paris)
- auteur des Eloges:
- de l’inattendu, 2021
- de la chance, 2016
- de l’audace, 2015
- de l’optimisme, 2010
- auxquels on ajoutera
- l’art de changer la vie en cinq leçons, 2020
Et encore :
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- Bonneuil Christophe, Fressoz Jean-Baptiste (2016), L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil.
- Latour Bruno (2015), Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique, Paris, La Découverte.
- Tronto Joan (2009), Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, Paris, La Découverte