Du dimanche 29 octobre 2017 au dimanche 05 novembre 2017
Organisateur : ACCHLA
Au fil de l’eau
Pensez-vous vraiment que c’est pour une histoire d’eau que Moïse a été puni ? Je crois plutôt qu’il choisit de rester à l’est du Jourdain parce qu’il s’y sentait bien, comme son frère Aaron qui terminait sa route plus au sud, à Petra (qui ne le désirerait pas ?), ce qui, d’ailleurs, permit plus tard à Jean-Louis Burckhardt de découvrir le site. Moïse et Aaron ne sont pas les seuls. Bien après eux, Hyrcan le Tobiade partait en Égypte comme Joseph fils de Jacob, s’opposait à ses frères devant Jérusalem puis s’installait finalement en Transjordanie et plus précisément dans le pays d’Ammon. Il est vrai que la famille de Tobiyya l’Ammonite y était établie depuis des siècles. Mais là, vers 187 avant notre ère, Hyrcan décidait de la construction d’un étonnant palais fortifié, Iraq al Amir. De belles proportions (36×72 coudées égyptiennes), édifié avec des blocs de 20 tonnes pour les plus gros, ce palais était doté d’un piano nobile, véritable aula regia où devait se dérouler le culte aulique. Mais le plus remarquable est que cette « baris » (pour reprendre le terme de Flavius Josèphe) se dressait sur une plate-forme au milieu d’un lac artificiel au fond duquel un siphon inversé renvoyait l’eau dans les bassins du château d’où elle jaillissait et ressortait par les gueules de léopards sculptés en bas-relief à l’extérieur, ce qui laissait croire que le lac se remplissait de cette façon. Notre roitelet fortement hellénisé se présentait tel un cosmocrator dans son microcosme entouré d’eau, image de l’océan primordial enserrant à l’infini la terre sèche. On dit même que les « grottes [ou caves] du Prince » comportaient des salles de banquet pour y pratiquer des agapes en souvenir d’Hyrcan, les mêmes que l’on organisait à Petra pour les rois nabatéens. Le symposion exige que l’on soit treize à table, uniquement des hommes, que l’hôte serve à ses convives le vin et les chairs d’un animal sacrifié. Alors, dans un curieux rituel mystique, celui de la communion et de la manducation, se produit un effet d’identification avec l’animal sacrifié et donc du roi. Surprenante histoire quand on sait que plus tard un autre roi ou prétendu tel, un christ, autre sacrifié, participera à ce même type de repas en compagnie de douze disciples qui partageaient le pain et le vin, une Cène à l’origine du rituel eucharistique. Lui qui savait changer l’eau en vin avait rencontré quelques temps plus tôt un certain Jean qui opérait le baptême dans le Jourdain. Pour cela, Il avait dû traverser la rivière et c’est bien à l’est que se trouve encore le supposé lieu du baptême de Jésus.
Il y a longtemps de cela, la Jordanie devait être une terre promise. Du moins, les hommes l’ont habitée depuis la préhistoire ce qui fait d’Amman une des villes les plus anciennes à être peuplée sans discontinuité : Rabbat-Ammôn a 5000 ans. La capitale des Ammonites s’est érigée près des sources du Yabboq et du haut de la Citadelle d’Amman on voit encore en contre-bas, devant le forum antique, là où se dresse le prestigieux théâtre de la ville, le plus grand de Jordanie, le cours de la rivière. Mais elle a totalement disparue, remplacée par une artère recouverte de bitume empruntée par des milliers de véhicules ce qui ne manque pas de précipiter un peu plus tous les jours la crise de l’eau provoquée par l’urbanisation effrénée et la pollution outrancière. Car il n’y a plus d’eau en Jordanie, ou si peu. Or, comme une ironie, lorsque les eaux de la Mer Morte auront définitivement disparu, il ne restera plus, au fond, qu’une couche de bitume ! Mais reprenons le fil de l’eau. On reste abasourdi devant les statuettes de plâtre à armature de roseau d’Ain Ghazal. Le site n’a rien à envier à Jéricho. Ces œuvres ont 9000 ans et se présentent en pied ou en buste, parfois avec deux têtes. Elles sont conçues avec un réel sens de l’esthétique ce qui ne manque pas de refléter le raffinement des habitants de ce village néolithique. Certaines ont les visages recouverts de kaolin et enduits d’ocre, les yeux dessinés avec un mastic bitumeux. Que signifiaient-elles ? Doit-on les rattacher aux pratiques funéraires de l’inhumation du défunt dont le crâne était réservé pour être plâtré comme ceux de Jéricho ? Ou bien étaient-elles des symboles de fécondité parce que les attributs féminins l’emportent largement ?
C’est ainsi qu’en ces temps reculés la vie suivait son cours au fil de l’eau. Les Ammonites vivaient entre le wadi Zarqa, frontière naturelle avec la Galaad située plus au nord, et le wadi Mujeb ; les Moabites entre ce dernier et le wadi el Hasa ; les Edomites, enfin, au sud de cette rivière. Tout était bien à l’Âge de Bronze malgré le passage des Hyksos. L’Âge de Fer voyait se constituer des Etats nationaux placés sous la tutelle de dieux patrons : Yahvé, Milkom, Kemoch, Qôs… Joab s’emparait de Rabbat-Ammôn pour le compte de David, mais, plus tard, Mesha, roi de Maob, battait les Israélites vers 850 avant notre ère. Antigone le Borgne attaquait le sud de la Syrie et toute la région était l’enjeu des guerres dites de Syrie opposant Lagides et Séleucides. L’attrait pour la Transjordanie est alors manifeste. En ce temps-là, Amman était Philadelphie et Gerasa, Antioche. Il faut venir en Galaad pour admirer cette dernière, son nymphée plus particulièrement. Il était surmonté d’un toit d’eau, doté d’une cascade, tandis que des gueules de lions sculptés recrachaient l’eau qui remplissait des bassins au bord du haut trottoir de la rue à colonnade de la cité antique.
Tout n’est que filiation. Les techniques hydrauliques des Grecs se retrouvent à un niveau de perfectionnement remarquable à Iraq al Amir et à Petra où les barrages retenaient l’eau d’Umm el Biyarah, la « Mère des Citernes », pour mieux l’acheminer ingénieusement à travers toute la ville par un jeu de canalisation en terre cuite qui court le long du Siq ou se répand sous les sols des maisons. On se représente alors très bien le bruissement constant de l’eau par temps de pluie dans la capitale nabatéenne, remplissant copieusement les citernes pour la plus grande joie de ses habitants. Cette eau semble rejaillir brusquement à l’est d’Amman où des « châteaux » omeyyades ponctuent le paysage désertique. A Qusair Amra près du wadi Butm, l’eau était retenue dans un puits et conduite par une noria à manège dans le tepidarium et le caldarium des thermes privés que jouxte le palais, où elle était chauffée par un ingénieux système d’hypocauste. Ici, le prince omeyyade entouré de sa cour jouissait des plaisirs du bain et s’entourait d’une société cultivée amie des arts et des sciences comme le signale la carte du ciel décorant le dôme de la salle chaude. En effet, des peintures exceptionnelles recouvrent entièrement les murs du petit château et l’on aperçoit le prince chassant, ou bien couché sur une klinê et profitant des danses et des femmes au bain, entre autres scènes évocatrices de la culture gréco-romaine dont les Omeyyades, comme les Abbassides après eux, sont les héritiers. Cette filiation au fil de l’eau est aussi architecturale et il n’est rien dans ce domaine qu’ignoraient les Omeyyades. Ils s’attachaient les services des meilleurs artistes byzantins ce que révèle la Salle d’audience de la Citadelle d’Amman de plan en croix grecque et dont les culs-de-four des deux absides s’appuient sur d’habiles trompes. C’est que la Jordanie est couverte d’églises byzantines dont les sols de mosaïque attestent la présence d’ateliers de grande envergure comme à Kirbet al-Mukhayyat et à Madaba où le pavement de l’église Saint-Georges offre au regard une époustouflante carte géographique datée du règne de Justinien. On y voit le Sinaï accompagné d’inscriptions en grecque relatant quelques épisodes de l’Exode, la Mer Morte où flottent deux bateaux partis à la collecte du bitume, le Jourdain et la mention du lieu du baptême (« Ænon ») indiqué sur sa rive gauche, Jérusalem et la Méditerranée. Cette représentation, la première en son genre, s’adressait aux pèlerins qui se rendaient à la Ville sainte mais qui n’avaient pas manqué de s’arrêter au Mont Nébo où l’on contemple encore les splendides mosaïques byzantines du Mausolée de Moïse témoignant d’une extraordinaire filiation culturelle à travers les âges.
Ignorant ce monde, et alors même que chrétiens, juifs et musulmans vivaient en parfaite intelligence, quelle idée saugrenue t’est venue à l’esprit ? Tu prêchais la croisade sans savoir ! Tu étais en quête d’autorité et de pouvoir et tu n’as pas mesuré la portée de tes mots fortement teintés d’antisémitisme. Par tes paroles insensées, tu lançais tes cohortes de croisés excités contre des gens que tu ne connaissais pas et que tu méprisais, juifs et musulmans dans l’indifférence. Tes va-t-en-guerre construisaient des kraks, celui de Montréal et celui de Moab, al-Karak, d’où un fou de dieu, un de ces extrémistes radicalisés, le seigneur criminel d’Outre-Jourdain, Renaud de Châtillon, organisait ses attaques contre les pèlerins qui se rendaient à la Mecque. Qu’est-ce que tout cela nous a apporté ? Mais je vais t’apprendre un secret, ignorant de ce monde. A Petra se trouve un trésor. Pour le découvrir il te faudra parcourir ce pays et t’enfoncer dans le désert, celui du Wadi Rum, pour quarante jours au moins sinon quarante ans. Là, l’impérieuse beauté des paysages et le silence te ramèneront à l’essentiel. Alors tu prendras le chemin de Petra et tu pourras t’enfoncer dans le Siq au bout duquel tu contempleras le khazné Firaoun du grand roi Arétas IV. De style hellénistique et pourtant nabatéen, il se présente sous la forme d’une façade monumentale excavée avec science dans le grès et dont la partie la plus spectaculaire est la tholos royale de l’étage surmontée d’un canthare. Sais-tu ce qu’il contient ? La boisson d’immortalité de Dionysos. C’est seulement au terme de ce voyage que tu te désaltèreras de ce nectar divin.